L’évolution des régimes juridiques de travail est une des préoccupations des hommes politiques comme des professionnels indépendants, amenés à travailler en solo. Pour ces derniers, choisir un statut est toujours une étape difficile, au vu des incertitudes juridiques ou financières. Parmi ces risques, ressort souvent le salariat déguisé dans le cadre de l’auto entreprise, synonyme de manque à gagner pour l’URSSAF.
Auto-entrepreneurs : parfois des salariés malgré eux
Même si la majorité des entreprises donneuses d’ordres utilisent le système de l’auto-entreprise (rebaptisée micro-entreprise en 2016) de façon correcte, des dérives sont observées depuis 2012. Selon la Fédération des autoentrepreneurs (Fedae) près de 3 % d’entre-eux seraient en situation de salariat dissimulé.
En juin 2013, un rapport du Sénat en juin 2013 estimait que ce chiffre était sous-évalué, même si l’URSSAF indiquait ne pas détenir de statistiques sur le sujet.
Fait marquant, les URSSAF régionales ont entrepris en septembre 2015 des démarches pour dissuader les collectivités locales d’avoir recours aux services des auto-entrepreneurs. Par exemple, elles soulignent que rien ne distingue un enseignant soumis à des horaires d’un intervenant extérieur (et auto entrepreneur) à qui l’on fait appel pour des activités périscolaire. Soumis aux mêmes horaires et contraintes de subordination, ils doivent tout deux être considérés comme salariés…
Une Mairie, comme une entreprise, ne peut donc pas faire appel à un intervenant extérieur qui serait auto entrepreneur dans le seul but d’éviter de grèver sa masse salariale. Car il s’agit bien de cela : le travail dissimulé.
Pour l’URSSAF, le code du Travail est clair (l’article L.8221-1) : un auto entrepreneur ne doit pas avoir de lien de subordination économique et juridique avec son employeur et doit au contraire afficher son indépendance et son autonomie dans le travail (horaires, outils, règles). Sinon, il relève du régime salarié et l’employeur doit alors s’acquitter des charges sociales correspondantes.
Être indépendant et autonome
Le contrôle des 600.000 auto-entrepreneurs actifs est dans la pratique impossible pour l’URSSAF, mais le nombre de jugements dénonçant le travail dissimulé progresse. Dans tous les cas, les juges en Cour de cassation (1) considèrent qu’il y a salariat déguisé quand « les conditions de travail relèvent plus de la subordination que de l’indépendance ».
En clair, un indépendant devient salarié de fait quand il suit les horaires et les plannings précis de l’entreprise, quand il utilise les outils internes (comme ses collègues salariés), quand il respecte les procédures et si il travaille au sein d’une équipe ou d’un service, de façon intégrée. Lors d’un contrôle URSSAF l’absence d’autonomie et d’indépendance est évaluée sous différents angles (2) :
- Est-ce que l’auto entrepreneur travaille avec un seul client ?
- Est-il un ancien salarié de l’entreprise cliente, son salaire est-il resté équivalent à celui qu’il percevait comme salarié ?
- Dans quelles mesures le donneur d’ordre impose-t-il ses outils, ses méthodes de travail (réunion, reporting) ?
- etc.
L’évaluation de l’ensemble de ces critères démontre –ou non- l’absence d’autonomie et d’indépendance.
Les risques juridiques pour l’entreprise et l’indépendant
Le phénomène du travail dissimulé a été reconnu par les juges dans de nombreux secteurs comme le conseil, les médias et l’informatique mais aussi la restauration, la formation et l’enseignement privé, le BTP ou encore les transports.
Mais l’externalisation abusive de salariés et l’embauche volontaire de faux indépendants peut coûter cher à l’entreprise. Si elle enfreint le code du travail par un délit de travail dissimulé (article L. 8221-5) l’employeur encourt une peine de prison (jusqu’à trois ans) et 45 000 euros d’amende. Il devra en outre régulariser sa situation de façon rétroactive, dès le premier jour de travail de l’indépendant en payant salaires, cotisations sociales voire indemnités. Il s’agit d’un cas de requalification du contrat de travail.
De son côté, l’indépendant ne peut pas être poursuivi pour travail dissimulé. Par contre, il peut être contraint de rembourser des prestations sociales ou des indemnités chômage reçues durant la période.
Quels statuts pour éviter les risques juridiques ?
Les indépendants doivent afficher leur réelle autonomie : démarcher et pouvoir contractualiser avec plusieurs clients, être libre du choix de ses outils, de ses horaires et de ses méthodes (même s’ils sont logiquement contraints par un cahier des charges et un planning de réalisation).
Côté statut, les indépendants se détournent progressivement de l’auto entreprise qui accuse une baisse marquée (-20% en 2015), compensée par le regain d’intérêt pour l’entreprise individuelle (+28,6 % sur les 12 derniers mois). Par ailleurs, le nombre d’immatriculations de société a progressé de +5,4 % sur la période.
Les solutions innovantes comme le portage salarial sont également mises en avant ; le portage salarial permet à des experts autonomes d’être salarié tout en vendant leurs prestations à des entreprises clientes, sans devoir s’enregistrer comme indépendant ou financer le montage d’une structure juridique. Leur agence de portage salarial se charge des régler l’ensemble des cotisations obligatoires des salariés. C’est une solution choisie par près de 50.000 indépendants en France. Il bénéficie surtout d’un cadre juridique clair avec l’ordonnance du 04 Avril 2015 (et le décret n° 2015-1886 du 30 décembre 2015 relatif au portage salarial) qui exonère notamment les entreprises clientes des risques de prêts de main d’œuvre ou délit de marchandage.
Articles complémentaires et sources :
- 5 statuts pour 5 indépendants
- Auto-entrepreneurs, bêtes noires de l’Urssaf
- Travailler avec des autoentrepreneurs : attention au salariat déguisé (Le Monde janvier 2016)
(1) A titre d’exemple : deux arrêts récents de la Cour de cassation : 6 mai 2015, n°13-27535 et 15 décembre 2015, n°14-85638.
(2) Indépendance juridique : risque de requalification du contrat de mission en contrat de travail